Livre de Bord
Introduction
Cette petite histoire se situe à Kinshasa (RDC) dans la commune de la Gombe et raconte le quotidien d'une famille congolaise durant le mois de Septembre 1998.
Pendant 1 mois, la guerre civile fait rage au Congo. Des rebelles armés se sont réfugiés dans certains quartiers de la capitale. Le barrage hydro-électrique d'Inga, dans le Bas-Congo a été bombardé. Il n'y a plus d'électricité et les routes de ravitaillement de la ville de Kinshasa sont bloquées pour couper toute possibilité de retraite aux rebelles.
Un couvre-feu est instauré et prend effet tous les jours à partir de 18h00'. Les militaires s'appliquent d'ailleurs à tirer en l'air à l'heure dite pour rappeler aux gens de rentrer chez eux.
La rentrée scolaire, qui devait avoir lieu le 1er Septembre, est repoussée d'un mois.
De plus, une grande animosité règne entre congolais et rwandais à cette époque. On accuse ces derniers d'être responsables des événements et on les agresse (voire pire) à la moindre occasion. Pour ceux qui ne le savent pas, les africains peuvent très souvent deviner les origines des uns et des autres rien qu'au physique.
Alors, si on ne parvient pas à prouver ses origines de manière convaincante…On est passé au "pneu".
Etant donné que je ne ressemble pas à ce que je suis, je suis assignée à résidence.
Je décide donc de décrire mes journées sous la forme d'un livre de bord de capitaine de bateau.
Vendredi 28 Août 1998
20h30' -Cela fait presque 2 semaines qu’il n’y a pas de courant. Le week-end passé, ils ont eu l’amabilité de nous en fournir le matin (7h30’) et de couper le soir (20h30’). Nous avions la prétention de penser que ça se passerait comme ça tous les jours, mais, lundi après-midi lorsqu’ils ont coupé, c’était définitif. Nous sommes vendredi et cela fait 5 jours que nous vivons, disons-le carrément, comme des villageois.
21h30' -Nous pouvons entendre un bruit ressemblant au ronronnement d’un moteur d’avion; certains parlent de chars. Le son ne me dit pas grand-chose.
Quelques 3 quarts d’heures plus tôt, on a entendu des tirs d’armes légères au coin de chez nous. Notre voisin, qui a un groupe électrogène assez bruyant, l’avait mis en marche et donc ne pouvait pas les entendre clairement. Lorsqu’il a appris que ça recommençait à canarder, il s’est empressé de mettre fin à la cacophonie. Ouf !
Donc, depuis 2 semaines, je m’ennuie à mourir : privée de télé, de musique, de tout, même de sortie. Et depuis un certain temps, un régime spécial à base de riz, de poulet, d’haricots, de pondu et d’eau fumée s’est installé. Le poulet on y a droit tous les jours ; il va finir par nous pousser des plumes ! J’espère quand même que nous aurons de l’électricité d’ici quelques jours … Mais ne spéculons pas.
Samedi 29 Août 1998
13h05' -Il y a un point que je n’ai pas abordé : comment passe-t-on nos soirées vu qu'il n’y a pas de distractions ?
Nous sommes en tout 13 personnes. Après avoir mangé vers 19h, les enfants montent dans le petit salon, y installent matelas, nattes et coussins. Les parents nous rejoignent et on s'installe comme on peut, éclairés d’une parfois deux bougies. Toutes les demi-heures, on écoute les informations (des stations étrangères de préférence). On se couche tôt et on se lève tout aussi tôt le lendemain matin ; et c’est repartit !
Au petit (mais vraiment petit) déjeuner de ce matin, je me suis risquée à manger - disons plutôt à boire - de la semoule de maïs. Maintenant je descends manger, vous devinerez sûrement quoi ? La même chose qu’hier, avant-hier et ainsi de suite:
du riz. Je déteste le riz!!!
15h07' - On parle guerre. Le débat est ouvert. Entre-temps, les bombardements semblent s’être atténués. En écoutant les conversations (comme à ma bonne habitude), j’ai appris que les pays venus nous prêter « mains fortes » larguaient des bombes aériennes.
Apparemment, on patauge dans la sauce militaire ; on est menacés d’indigestion. De toute façon, la plupart du temps, c’est de l’ « Intox ».
15h22' - Ça se corse, comme dirait ce cher Napoléon. On change de registre. Maintenant on se prend pour des historiens. Ca discutaille ferme. Et t’en veux et j’ t’en donne et patati et patata...
En plus on saute du coq à l’âne. Des Tutsi, on passe aux Arabes. Quel rapport ! ? ! Ce sont les arabesques de la conversation. La personne qui arriverait à ce moment précis ne pourrait pas se mêler à la mêlée car il n’en verrait ni la tête ni la queue.
Bref, comme mon pote l’électricien, je me tiens au courant !
Dimanche 30 Août 1998
7h35' -Nous venons d’écouter les informations. Ce que j’ai retenu de plus important est que les forces gouvernementales auraient, paraît-il, repris le contrôle du barrage d’Inga. Ce sont là les dires des autorités locales. Mais toujours pas d'électricité. La vie rurale continue...
10h50' -Le voisin remet la musique en marche. Il doit vouloir préparer son déjeuner ; déjeuner qui ne révèlera sans doute pas, à l’inverse du nôtre, son origine de cuit au charbon.
Cher ami, si vous pouviez éviter de nous assourdir, je dirai même plus, de nous abasourdir avec votre requiem de Mozart Congolais, ce serait gentil, merci ! Mais bon appétit quand même !
11h15' -Il a appuyé sur stop. La cuisson de la soupe aura été brève. Mais je ne m’en plains pas, loin de là.
Je ne sais pas si vous le savez mais le soir, comme le reste de la journée d’ailleurs, il n’y a pas d'électricité. En conséquence, les voix portent. Pourtant, cela n’a pas tellement eu l’air d’interpeller une de nos voisines, qui, hier soir, vociférait des imprécations douteuses destinées aux oreilles de Dieu mais qui ont été portées à l’attention de tout le quartier. A croire que Dieu est dur de la feuille et qu’elle voulait être sûre qu’il n’en perde pas une miette et nous non plus d'ailleurs. Comme dirait un certain diable d’homme : elle se prend pour qui ?
17h15' -Le concert gratuit recommence pour la seconde fois de la journée. Qu’il en profite bien parce que d’ici à ce que ça recommence à canarder, il devra bien l’arrêter son boucan.
Mais je dis ça par pure jalousie parce que si nous avions nous aussi un groupe électrogène, nous le mettrions en marche en dépit des récriminations des voisins.